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La Presse Canadienne
TORONTO – Parlons un peu de « haine sportive ».
Le sport est l’un des seuls moments dans la vie où nous pouvons être totalement irresponsables d’un point de vue de nos émotions sans qu’il y ait de réelles conséquences. Bien entendu, on ne parle pas de celles et ceux qui utilisent les médias sociaux pour lancer des injures à un receveur ayant échappé une passe de touché en apparence parfaite. Ces gens devraient voir leur droit d’être partisans révoqué pour une certaine période, en fonction du contenu de leur attaque en ligne.
Il n’y a rien de mal à se moquer des Stampeders, qui étaient les favoris pour remporter le match de la Coupe Grey de 2016 et de 2017, mais qui ont chaque fois baissé pavillon devant un club négligé. Ou encore à détester et les éditions de 2009 et de 2010 des Alouettes si vous êtes un fervent amateur des Roughriders.
Cette réflexion nous amène à quelque chose qu’on aimerait voir en 2021 : une légitime rivalité entre Montréal et Ottawa.
Géographiquement, le fait que ces deux équipes puissent se détester a plein de sens. Outre Toronto et Hamilton, aucune autre équipe de la LCF ne se trouve aussi près l’une de l’autre que les Alouettes et le ROUGE et NOIR.
Selon Google, quelque 206 kilomètres séparent le stade Percival-Molson à Montréal et la Place TD à Ottawa – un trajet de plus ou moins deux heures, à condition de ne croiser que quelques lumières rouges. Il est peut-être même plus facile de voyager entre les deux enceintes qu’entre le BMO Field et le Terrain Tim Hortons, puisque l’autoroute Queen Elizabeth Way (QEW) est toujours bondée de trafic.
On est persuadé qu’il existe une forme d’animosité entre les partisans des Alouettes et ceux du ROUGE et NOIR. Pourtant, elle semble différente de celle qui existe entre ceux de Calgary et d’Edmonton, de la Saskatchewan et de Winnipeg ou de Hamilton et de Toronto.
L’une des raisons qui peuvent expliquer cette situation est que les deux formations n’ont pas connu du succès en même temps. Bien que ce n’ait pas été le cas pour la rivalité entre les Tiger-Cats et les Argonauts au cours des dernières années, l’animosité entre ces deux clubs provient d’une longue tradition de méfiance entre les deux villes. Toronto était une ville bourgeoise remplie de fonctionnaires, tandis que Hamilton était une ville ouvrière que les Torontoises et les Torontois regardaient de haut.
Oui, il s’agit d’une immense généralisation, mais il y avait une certaine vérité à ces stéréotypes il y a de cela plusieurs années. Ironiquement, en 2021, plusieurs Ontariennes et Ontariens se tournent vers Hamilton dans l’espoir d’y trouver une maison moins dispendieuse et sont surpris de voir que les maisons y sont presque aussi onéreuses.
La dernière fois que Montréal et qu’Ottawa ont affiché des dossiers au-dessus de 0,500 lors de la même saison remonte à 1978. Les champions de la division Est en saison régulière les Rough Riders d’Ottawa (11-5) s’étaient inclinés devant les Alouettes de Montréal (8-7-1) en finale de l’Est. Entre 1978 et aujourd’hui, on retrouve surtout des fiches perdantes.
Quand Ottawa a effectué un retour dans la LCF sous le nom des Renegades, l’équipe a été incapable en quatre ans de se qualifier pour les éliminatoires, terminant à 26 matchs de 0,500 au cours des campagnes que les partisans d’Ottawa préfèrent oublier. Si l’on jette un œil aux dernières années, le ROUGE et NOIR a permis aux Ottaviens de goûter à la victoire entre 2015 et 2018. Le ROUGE et NOIR a atteint le match de la Coupe Grey à trois reprises en quatre ans, tandis que les Alouettes ont affiché un dossier de 21-51 et n’ont jamais réussi à se qualifier pour les éliminatoires au cours de cette période, alors qu’ils étaient toujours à la recherche du prochain Anthony Calvillo.
Sur le terrain, on espère que le quart-arrière Matt Nichols canalisera sous peu sa colère d’avoir été retranché par les Argonauts. Dans un monde idéal, Nichols se mettra en mode revanche et terrorisera les autres formations de la Ligue pour ne pas avoir cru en lui.
Du côté de Montréal, Vernon Adams Jr. doit poursuivre son développement, lui qui a aidé les Montréalais à connaître une saison gagnante pour la première fois depuis 2012 en 2019.
Bien sûr, il s’agit là des éléments fondamentaux, d’un point de vue du football, pour qu’une réelle rivalité entre les deux équipes voie le jour. Mais soyons francs : on ne contrôle aucunement le développement d’un joueur ou ce qui peut arriver sur un terrain de football. Alors, que pouvons-nous faire pour aider à bâtir un peu de haine sportive entre la deuxième et la cinquième plus grandes villes du Canada?
Partisans du ROUGE et NOIR, vous devez faire un meilleur travail pour rappeler aux partisans des Alouettes qu’ils ont déjà transigé pour obtenir les services de Johnny Manziel. Assurez-vous aussi de noter qu’il a lancé plus d’interceptions (quatre) qu’il n’a généré de points (trois) lors de son premier match avec Montréal.
Montréal, si vous souhaitez taquiner vos vis-à-vis d’Ottawa à propos d’un quart-arrière, on a deux mots pour vous : Kerry Joseph. À l’époque des Renegades, Joseph a été l’un des quarts de l’équipe pendant trois ans, et elle n’a rien fait avec lui. Puis quand le club a fait banqueroute, Joseph s’est joint à la Saskatchewan, où il a gagné la Coupe Grey et le titre de joueur par excellence de la LCF en 2007 comme quart-arrière partant du club. Peut-être commencer avec une phrase du type : « Ottawa gaspille ses bons joueurs de la même manière qu’Edmonton gaspille le talent de Connor McDavid. »
Enfin, sur le même thème, si vous êtes un partisan du ROUGE et NOIR, vous pourriez envoyer un lien vers les statistiques du match du 1er octobre 2015, un duel au cours duquel Ottawa a battu Montréal 39-17 et au cours duquel Henry Burris a établi un record de la LCF avec 45 passes complétées pour des gains de 504 verges – un record pour une équipe d’Ottawa. Pour ajouter l’insulte à l’injure, Burris a battu un record qui appartenait à… Anthony Calvillo!
OK, cette tactique est un peu immature, et on commence à avoir fait le tour de la question, mais terminons en soulignant qu’Ottawa ne l’a pas eu facile à la position de quart-arrière entre les années de Russ Jackson et celles de Burris/Trevor Harris.
Pour les partisans montréalais plus âgés, employons le thème de la série de films « Retour vers le futur » et évoquons le droit de se vanter des succès de son équipe lors des éliminatoires. La dernière fois que ces deux équipes se sont affrontées lors des éliminatoires remonte à 1985, la même année que Marty McFly a remonté le temps afin de voir ses parents s’embrasser pour la première fois. Cette année-là, les Concordes de Montréal, grâce aux 344 verges par la passe du quart-arrière Joe Barnes, avaient battu Ottawa 30-20 en demi-finale. Ce qui est étonnant c’est qu’à l’époque, un duel entre Montréal et Ottawa lors des éliminatoires survenait pratiquement une fois aux deux ans, les deux clubs ayant croisé le fer 18 fois entre 1957 et 1985. Il faut souhaiter le retour de cette cadence.
Sans blague, s’affronter lors des éliminatoires est la meilleure façon de construire une légitime rivalité entre deux clubs. Pour les plus jeunes partisans d’Ottawa, utilisez tout simplement l’expression « OK, boomer » et rappelez aux partisans de Montréal que leurs favoris n’ont qu’une seule victoire lors des éliminatoires au cours des 10 dernières années, alors que le ROUGE et NOIR a quatre victoires lors des éliminatoires et un triomphe lors de la Coupe Grey depuis son retour dans la LCF en 2014.
Pas besoin de vous limiter au football : soyez créatif. Ottawa peut se vanter d’être la ville natale de célébrités comme Alanis Morissette et Dan Aykroyd, tandis que le groupe Arcade Fire a été fondé à Montréal, la ville natale de William Shatner. À vous de décider qui remporte la bataille des célébrités. Le trafic est de loin pire à Montréal, mais le prix des maisons, en moyenne, est 100 000 $ moins cher. Ottawa peut jouer sur des cordes sensibles avec des histoires comme celles de Lewis Ward, qui a travaillé dans un centre de dépistage de la COVID-19 à l’hôpital Kingston General, mais Montréal est l’endroit par excellence pour faire la fête : personne ne va à Ottawa pour célébrer un enterrement de vie de garçon ou un enterrement de vie de fille, et nous avons tous une histoire un peu louche d’un soir sur la rue Crescent.
Ce ne sont que quelques suggestions. Partisans des Alouettes et du ROUGE et NOIR, n’hésitez pas à vous taquiner les uns les autres. Parce qu’une LCF au sein de laquelle on retrouve une authentique rivalité entre Montréal et Ottawa est une bien meilleure LCF.